Le lien est l'essence-même du Web, ou World Wide Web (Toile d'araignée mondiale). Mais certains sites sur cette toile sont juridiquement interdits de publicité ou de promotion pour leurs services. Le faire de recevoir un backlink (lien entrant) peut-il alors être considéré comme une action commerciale ou de publicité et donc être répréhensible ? Réponse de notre juriste attitré...
Nous évoquions dans la précédente lettre Réacteur de nombreux articles parus en septembre et octobre 2016 s’inquiétant d’une récente décision de la Cour de Justice de l’Union européenne relative aux liens hypertexte et aux conditions de leur légalité. Rassurés par les termes précis de cet arrêt (et non les conclusions hâtives de certains...) réaffirmant la liberté de mise en place de liens, il nous est aujourd’hui possible de nous interroger sur la nature de certains d'entre eux. En effet, savoir si un lien hypertexte peut être une action commerciale, un acte de promotion ou une publicité peut avoir des implications légales et/ou fiscales. La loi encadre ainsi ces actions et il est donc d’importance de savoir si un lien peut avoir cette nature. Force est de constater, comme souvent, que la réponse est : « ça dépend »…
Rappel synthétique de la définition d’un lien
Dans la lettre Réacteur du mois d’Octobre 2016, nous rappelions que la Cour d’appel de Paris a précisé, il y a maintenant 15 ans qu’un lien hypertexte est « un simple mécanisme permettant à l’utilisateur en cliquant sur un mot ou sur un bouton de passer d’un site à un autre » (CA Paris, 19 septembre 2001, SA NRJ et Monsieur J.B. c/ Sté Europe 2 Communication).
Ici encore, il nous faut rappeler qu’il existe 3 sortes de liens hypertexte :
- le lien hypertexte simple (surface linking): il relie le document d'origine à la page d'accueil d'un autre site web ;
- le lien hypertexte en profondeur (deep linking) : ce lien conduit l'utilisateur vers une page interne d'un autre site web, distincte de la page d'accueil ;
- l'insertion par liens hypertextes (inline linking) : il s'agit notamment par ce procédé de faire apparaître dans une page web un seul élément (par exemple une photo) extrait d'un autre site, ce qui économise de l'espace de stockage sur le disque dur de la machine où est hébergé le site et qui a pour effet de dissimuler à un utilisateur non averti l'environnement d'origine auquel appartient cet élément.
Pour les besoins de cet article, il ne sera fait mention que du lien en lui-même et non du lien amenant au site et son contenu distant. En effet, nous avons étudié dans la notre précédent article le régime juridique des liens qui pointent vers des contenus illicites, alors que nous étudions aujourd’hui la nature du lien en lui-même, intrinsèquement.
Intérêt de se poser la question
La publicité (et techniques associées) est régie strictement et rigoureusement par des principes légaux et réglementaires précis :
- Le code de la consommation, et notamment toutes les dispositions relatives à la publicité trompeuse, comparative, publicité sur des activités réglementées, etc… La plupart de ces dispositions est sanctionnée pénalement par des amendes et mêmes des peines d’emprisonnement ;
- La loi Sapin du 29 janvier 1993 (sur la transparence) imposant notamment une transparence entre le support, l’intermédiaire (agence souvent) et l’annonceur. Cette loi est également pénalement lourdement sanctionnée ;
- La loi « Confiance en l’Economie Numérique » précise en son article 20 que « toute publicité, sous quelque forme que ce soit, accessible par un service de communication au public en ligne, doit pouvoir être clairement identifiée comme telle. Elle doit rendre clairement identifiable la personne physique ou morale pour le compte de laquelle elle est réalisée ».
Ces lois ne sont que les principales, de nombreux autres textes (lois sectorielles comme la loi Evin par exemple) et recommandations (notamment de l’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité – www.arpp.org) régissent la publicité.
De plus, il existe pour certains un intérêt fiscal très important. Si la fiscalité n’a généralement pas intrinsèquement de rapport direct avec la publicité (une action commerciale / promotion / publicité est une charge déductible et le raisonnement ne va pas plus loin), le secteur associatif déroge à ce principe dans la mesure où celui-ci doit rester sans but lucratif et ne doit pas, par principe, faire d’action commerciale / promotion / publicité. En effet, aux termes de la loi du 1er juillet 1901, l’association est un groupement de personne « formé dans un but autre que de partager des bénéfices ». Pourtant, certaines associations n’hésitent pas à concurrencer le serveur commercial : elles exercent une activité économique et se comportent comme de véritables entreprises. L’article 206-1 du code général des impôts pose donc la question de la lucrativité pour déterminer si une association est imposée aux impôts commerciaux ou reste sans impôt. Au demeurant, dans l’arrêt « Playboy » du 8 septembre 2016, précisément commenté dans notre article du mois dernier, la CJUE a jugé qu’il convenait de "déterminer si ces liens [étaient] fournis sans but lucratif par une personne qui ne connaissait pas ou ne pouvait raisonnablement pas connaitre le caractère illégal de la publication de ces œuvres sur cet autre site internet ou si, au contraire, lesdits liens [étaient] fournis dans un tel but, hypothèse dans laquelle cette connaissance [devait] être présumée", mettant bien en évidence la question du but lucratif.
Pour déterminer si une association est lucrative, le Code Général des Impôts et l’instruction fiscale 4 H-5-06 du 18 décembre 2006 (http://www11.minefe.gouv.fr/boi/boi2006/4fepub/textes/4h506/4h506.pdf) posent la règle des 4P, à savoir « produit » [de l’association], « public » [ciblé par l’association], « prix » [pratiqués par l’association] et la « publicité » [faite par l’association], selon le raisonnement de la figure 1.
Fig. 1. Détermination du caractère lucratif d'une association.
L’intérêt de savoir si oui ou non un lien hypertexte est donc essentiel à tous ces égards.
La définition d’action commerciale / promotion / publicité au regard du droit et la détermination intrinsèque au lien hypertexte
L’article 2 de la directive 2006/114 du 12 décembre 2006 en matière de publicité trompeuse et de publicité comparative définit la « publicité » comme « toute forme de communication faite dans le cadre d'une activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale dans le but de promouvoir la fourniture de biens ou de services, y compris les biens immeubles, les droits et les obligations ».
Dans le même arrêt « Playboy » du 8 septembre 2016, la CJUE a précisé que le lien hypertexte constitue un acte de "communication au public" au sens de la directive 2001/29. En conséquence, un lien peut entrer éventuellement dans la catégorie des actions commerciales / promotions / publicités, car celles-ci doivent nécessairement être des communications au public. A l’inverse et dans le prolongement de l’article 2)f) de la directive 2000/31 « commerce électronique » du 8 juin 2000, le terme "communication commerciale" définit « toute forme de communication destinée à promouvoir, directement ou indirectement, des biens, des services, ou l'image d'une entreprise, d'une organisation ou d'une personne ayant une activité commerciale, industrielle, artisanale ou exerçant une profession réglementée ».
A ce stade du raisonnement, la réponse serait donc mécaniquement, oui, un lien hypertexte [qui renvoie vers un site commercial / industriel / artisanal / libéral] est une action commerciale / promotion / publicité.
Or, les législateurs communautaires avaient bien relevé qu’il est impossible de respecter toutes les réglementations applicables pour ce qui concerne intrinsèquement le lien hypertexte. Ainsi, si un lien hypertexte publicitaire était juridiquement une communication au public à caractère publicitaire (ou assimilé) alors le créateur du lien devrait, uniquement au titre de ces lois, pour chaque lien créé :
- être transparent avec l’annonceur final s’il y en a un ;
- préciser le nom de l’annonceur (on ne sait pas comment d’ailleurs) ;
- valider les termes du lien pour éviter qu’ils soient trompeurs ou illicites (alors que la personne qui recopie le lien ne contrôle évidemment pas les termes de l’URL).
En d’autres termes, cela n’est pas possible.
C’est sur la base de cette réflexion qu’il est intrinsèquement impossible de respecter la réglementation publicitaire pour un lien hypertexte, que les législateurs ont eu l’intelligence de préciser clairement que « ne constituent pas en tant que telles des communications commerciales :
- les informations permettant l'accès direct à l'activité de l'entreprise, de l'organisation ou de la personne, notamment un nom de domaine ou une adresse de courrier électronique,
- les communications relatives aux biens, aux services ou à l'image de l'entreprise, de l'organisation ou de la personne élaborées d'une manière indépendante, en particulier lorsqu'elles sont fournies sans contrepartie financière »
(fin de l’article 2)f) de la directive 2000/31 « commerce électronique » du 8 juin 2000)
Ainsi, ont été exclus de la réglementation sur les communications commerciales (terme juridique d’une action commerciale / promotion / publicité) les URL / liens hypertexte ou encore adresse email.
Ce principe a ainsi été posé par le législateur communautaire afin que toute entreprise puisse librement utiliser sa marque en tant que nom de domaine ou que tout à chacun puisse utiliser les liens existants sans pour autant se voir appliquer la réglementation relative au droit de la publicité. Ainsi, une société d’alcool pourra utiliser sa marque dans ses URL (et nous pourrons les réutiliser) sans violer la loi Evin.
En conséquence et sauf exception (fraude à la loi pénale par exemple), un lien hypertexte n’est intrinsèquement juridiquement pas une action commerciale / promotion / publicité au regard du droit commercial.
Toutefois, cette réponse ne vaut pas nécessairement pour des situations de fraude à la loi. En effet, certains droits plus « autonomes » comme le droit pénal ou le droit fiscal ne s’interdiront pas de poser qu’un lien peut, en fonction de certaines circonstances et dans certains cas bien précis, être qualifié par un juge d’instruction ou un contrôleur fiscal d’action commerciale / promotion / publicité. Cependant, ces cas doivent rester rares.
Alexandre Diehl
Avocat à la cour, cabinet Lawint (http://www.lawint.com/)