Les technologies de création automatique de contenus générés par Intelligence Artificielle, de type GPT-3, font de plus en plus partie de notre quotidien de SEO. Mais ces nouveaux outils vont rapidement se heurter à des considérations juridiques comme le droit d'auteur (pour lequel il faut définir un auteur sous la forme d'une personne physique), la propriété intellectuelle et la contrefaçon. Une nouvelle donne que tous les acteurs du domaine, ainsi que les juristes, vont devoir prendre en compte.

Vaste fantasme utopique ou réalité concrète ? La rédaction automatisée de contenu par l’IA (Intelligence Artificielle) est un sujet qui promet peut-être une piètre qualité rédactionnelle, probablement de larges économies pour certains et qui suscite certainement une foule de nouvelles réflexions juridiques.

 Pour aller plus loin :

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De quoi parle-t-on ?

L’intelligence artificielle peut être définie comme l’ensemble des techniques, destinées à reproduire des tâches humaines. Cela peut comprendre des tâches simples comme servir dans un restaurant ou plus complexe comme le fait de rédiger des articles sur une thématique pointue.

Par exemple, GPT-3 est l'un des principaux modèles linguistiques d’Open AI. Il permet, en suivant des instructions d’un tiers humain, de créer du contenu de manière bluffante. Face à ce réalisme toujours croissant, les humains peuvent être incapables de distinguer si le contenu a été créé par une IA ou un humain. A cet effet, Google a créé une IA capable de distinguer si un texte est de source humaine ou s’il a été généré par une forme d’intelligence artificielle.

Les créations générées par IA sont-elles protégées ?

Les juristes ont cette tendance à toujours chercher à analyser les nouveautés sous un œil doctrinal pour leur coller un régime et des conséquences. Pourtant, la question soulevée mérite de voir une réponse apportée de manière claire car les conséquences sont importantes.

Petit rappel historique de la propriété intellectuelle : Quand Beaumarchais décide de se lancer dans la bataille de la protection des œuvres intellectuelles, c’est que les nouvelles techniques de reproduction cadencées permettaient de voir les auteurs spoliés trop rapidement de leurs créations. C’est dans ces conditions qu’est né le « droit d’auteur », c’est-à-dire les droits de l’auteur. Cette conception s’oppose intellectuellement au « copyright » (le droit de copier) où les imprimeurs londoniens avaient, peu avant, enfin obtenu de larges droits pour copier les œuvres de certains auteurs moyennant des dispositions simplifiées et surtout moins onéreuses.

Pourquoi cette page d’histoire ? Simplement car elle permet d’expliquer le régime de l’IA aujourd’hui en termes de création de contenus.

Comment une œuvre est-elle protégée au titre du droit d’auteur ?

Une œuvre ne peut être protégée au titre du droit d’auteur que si et uniquement si elle est originale et qu’elle reflète la personnalité de l’auteur. Même si la jurisprudence est de moins en moins exigeante sur cette dernière condition de protection (notamment du fait de la protection des lignes de codes / des programmes par le droit d’auteur), il n’en reste pas moins que l’œuvre doit être originale et créée par un auteur.

Imaginons que les scripts d’IA soient ultra performants et que le contenu soit sincèrement et objectivement nouveau / original. Le critère de la création par un auteur se pose alors.

Or, à de nombreuses reprises, le Code de la Propriété Intellectuelle français (et plus largement tous les pays de droit d’auteur, c’est-à-dire à peu près 80% de la planète) prévoit que l’auteur doit être…une personne physique. En effet, la mort de l’auteur, la personnalité de l’auteur, autant de caractéristiques d’un être humain, sont expressément visées par la loi, ce qui ne laisse aucune place au doute. Par exemple, le droit d’auteur dure de la création de l’œuvre jusqu'à 70 ans après la mort de l’auteur.

Il devient donc complexe, dans ces conditions, d’imaginer une protection d’une création par une IA au titre du droit d’auteur.

Pourtant, il existe un moyen très simple de contourner le problème : un auteur personne physique peut parfaitement programmer l’IA, apporter un côté humain au contenu qui sera alors « contaminé » pare cette humanité. Mais cette solution ne peut être pérenne tant l’automatisation à outrance sera recherchée par les sociétés.

Il reste donc à construire un régime de propriété intellectuelle protégeant potentiellement les œuvres créées par IA ou de manière non humaine. Cette utopie n’en est pas une, puisque de nombreux professionnels du droit ont, depuis longtemps en réalité, appelé de leurs vœux une telle réflexion.

A quoi sert la protection au titre du droit d’auteur ?

Aujourd’hui, aux termes du Code de la Propriété Intellectuelle, les droits d’auteur sont principalement de deux ordres :

  • Patrimoniaux : permettant d’interdire ou d’autoriser l’utilisation de votre œuvre, et de percevoir dans ce cas une rémunération en contrepartie ;
  • Moraux : ils permettent de s’opposer à la divulgation de l’œuvre de l’auteur sans son consentement, une utilisation qui dénaturerait l’œuvre de l’auteur, ou encore revendiquer que le nom de l'auteur soit mentionné.

Les droits de propriété intellectuelle permettent ainsi à l’auteur d’empêcher la copie ou l’usage non voulu de son œuvre. En d’autres termes, en cas de copie servile d’un contenu, le copieur n’est rien d’autre qu’un vulgaire contrefacteur qui procède à de la contrefaçon d’une œuvre de l’esprit.

La contrefaçon répond à un régime juridique spécifique :

  • Comprenant un volet procédural : la preuve de la contrefaçon est spécifique, avec des saisies-contrefaçons différentes des autres saisies, une chambre spéciale au Tribunal Judiciaire, des pratiques différentes, etc… ;
  • Une possibilité de poursuites civiles afin de demander des dommages et intérêts et d’obtenir des mesures réparatrices ;
  • Une possibilité complémentaire de poursuites pénales pour voir le contrefacteur condamné à une amende et/ou une peine (rarissime) de prison.

En ce, la protection est très différente d’autres droits car il est rare de voir un droit protégé pénalement et civilement. En d’autres termes, le propriétaire d’un contenu a de nombreuses voies pour protéger son contenu de toute reprise illicite et sait se faire respecter.

Quel avenir pour les créations par IA ?

Les créations par IA ne pouvant pas être protégées au titre de la propriété intellectuelle, elles peuvent donc être reprises sans craindre un acte de contrefaçon.

Toutefois, sans parler spécifiquement de contrefaçon, il existe une autre voie qui permet de limiter, voire faire condamner, plusieurs reprises serviles de contenus de tiers : l’action en concurrence déloyale. L’article 1240 du code civil pose en effet le principe général que toute faute ayant causé un préjudice doit le réparer.

Or, en l’absence de contrefaçon (quelque soit la raison), certains juges ont estimé qu’une reprise répétée dans un cadre concurrentiel de contenus pouvait constituer une faute engageant son auteur. En d’autres termes, la reprise d’articles créés par IA peut entrainer la condamnation par un tribunal pour concurrence déloyale.

Au-delà de cette possibilité actuelle, de nombreux professionnels appellent à la création d’un statut supplémentaire pour les créations IA :

  • Soit la création aura un statut juridique qui sera fonction de celui qui a créé / paramétré l’IA : par exemple, si c’est un artiste, la création de l’IA sera protégé par le droit d’auteur, si c’est une société informatique, le code sera protégé comme tel au titre d’une œuvre collective, etc. ;
  • Soit le législateur invente un droit d’auteur « light » qui ne permet que la monétisation mais sans les prérogatives permettant à l’auteur d’interdire à autrui de reprendre le contenu. Le principe de création d’un droit spécifique, un peu différent de ce qui existe, a déjà été éprouvé puisque le législateur a inventé le droit « sui generi » des bases de données qui ressemble à du droit d’auteur, mais qui n’est pas du droit d’auteur… Peut-être le législateur pourrait-il imaginer un système similaire.

La Résolution du Parlement européen du 3 mai 2022 sur l’intelligence artificielle à l’ère du numérique a souligné d’une part que les grands principes juridiques étaient parfaitement applicables, mais a appelé la Commission à faire évoluer la législation pour mieux tenir compte de l’IA d’un point de vue juridique. Même si la thématique spécifique de la protection de contenus créés par l’IA n’était pas visée, fort est à parier que la question surviendra très rapidement...

Alexandre Diehl
Avocat à la cour, cabinet Lawint (https://www.lawint.com/)