Le récent jugement de la Cour d'appel de Paris et mettant aux prises la société Carré Blanc et le site Rue du Commerce illustre bien le fait que toute négligence SEO sur les mots clés que l'on travaille peut se payer cher in fine. Cet article explique la décision de justice rendue et propose quelques conseils pour que la même mésaventure ne vous arrive pas...
Depuis maintenant 20 ans, tous les professionnels du SEO savent qu'on ne peut pas faire n'importe quoi avec les marques de tiers. Les nombreuses affaires Louis Vuitton et autres ont permis à la communauté de comprendre les enjeux et les condamnations. On n'achète pas les marques connues (comme Coca-Cola, Louis Vuitton, etc…) sur Adwords, on n'intègre pas dans son URL des marques de tiers, on évite de faire de la concurrence déloyale à son concurrent sur sa marque.
L'automatisation de plus en plus perfectionnée de certains outils de SEO ou d'outils Web ne prend pas toujours en compte cet aspect juridique pourtant assez évident. De plus, il est fréquent de ne pas vérifier si un terme est protégé au titre du droit des marques.
Récemment, la société Rueducommerce a vérifié ce principe de manque de vigilance. Résultat : une condamnation à 60.000€ pour contrefaçon et 20.000€ de frais d'avocat en plus du "bad buzz". Retour sur ce cas particulier à ne pas suivre...
La construction des règles en matière de responsabilité de marques sur les mots-clés
La marque (la protection la plus connue) est un titre de propriété industrielle qui est déposé auprès d'un institut public (l'INPI) qui contrôle et vérifie si les critères de base sont respectés afin de délivrer un titre (donc opposable) à un propriétaire. Le propriétaire de la marque dispose alors d'un droit.
Le fait de déposer une marque, qu'elle soit validée par l'OHMI (ou autres organismes) et qu'elle soit exploitée permet au propriétaire de la marque d'interdire à tout tiers de procéder à :
- La reproduction, l'usage ou l'apposition de la marque déposée ;
- La suppression ou la modification de la marque déposée (article 713-2 du Code de la Propriété Intellectuelle).
Pendant longtemps, les moteurs ont été poursuivis pour permettre aux utilisateurs d'acheter, comme mots-clés, des marques de tiers. Google a ainsi été souvent condamné à payer des dommages et intérêts à des marques de luxe, marques reconnues, etc…Google avait sollicité, dans les années 2010, l'intervention de la Cour de Justice de l'Union européenne (sorte de cour suprême fédérale de l'Union européenne) pour qu'elle statue sur la responsabilité (ou non) des prestataires de liens publicitaires. Par décision du 23 mars 2010 (voir 1) (et « transposée » en droit français le 13 juillet 2010- voir 2), la CJUE a précisé l'irresponsabilité a priori des prestataires de liens publicitaires.
Dans cette relation, la logique pousse à se dire que si le prestataire de liens publicitaires n'est pas responsable, c'est l'annonceur (celui qui achète les mots-clés) qui peut être responsable.
Le cas Rue du Commerce
Tout le monde connait le site Rue du Commerce (qui appartient à Carrefour d'ailleurs).
La société Carré Blanc Expansion vend, notamment en ligne, le textile, linge de maison, draps, etc… sous la marque « Carré Blanc ». Certains prétendent que c'est une marque connue.
Carré Blanc a constaté (et fait constater par huissier) que lorsqu'étaient effectuées des recherches via le moteur de recherche Google avec les mots clés « Carre Blanc » accompagnés d'un terme tel que « couette » ou « solde », le site rueducommerce.fr apparaissait dans les résultats avec une présentation laissant croire que la société Rue du Commerce proposait des produits de marque Carré Blanc en « soldes » ou « pas cher », alors que cette société n'a jamais vendu de produits de marque Carré Blanc sur son site.
Pour être plus précis, Carré Blanc a constaté :
- Plusieurs annonces dans le titre desquelles figurent toujours les termes « carre blanc », accompagnés de la désignation du type d'article recherché (peignoir, linge de maison, nappe, serviette…) précédant l'indication « rue du commerce »,
- Sous le titre de chaque annonce, est indiquée l'adresse URL « www.rueducommerce.fr/index/ » suivie de la désignation de l'objet recherché et de l'indication « %20carre%20blanc »,
- sous cette adresse, une courte description de l'objet de la page, avec l'utilisation à au moins une voire deux reprises du terme « carré blanc » en gras, associé à l'objet recherché.
Manifestement sans chercher à en savoir plus, Carré Blanc a assigné directement Rue du Commerce en justice pour contrefaçon et concurrence déloyale.
Dès réception de l'assignation, Rue du Commerce a enregistré « carré blanc » en mot clé négatif dans ses blocs de mots-clés.
Le Tribunal puis la Cour d'appel ont tous deux analysé les pratiques de Rue du Commerce en soulignant bien que le fait de taper « carré blanc » sur Google renvoyant sur les pages incriminées ne relève pas de simples optimisations SEO mais bien d'actes délibérés sur des termes précis.
En effet, le fait d'ajouter dans l'URL la marque concernée (ici, « Carré Blanc ») « permet d'améliorer le référencement du site en cas de nouvelle recherche par un internaute sur les mêmes mots clés et découle d'un choix de la société Rue du Commerce dans l'organisation de son site et notamment dans le lien vers la page d'index et dans la rédaction de l'extrait, même si le site n'a pas de contrôle sur les mots-clés définis par l'internaute ».
C'est sur la base d'un rapport d'expert (on ne sait pas lequel) que la Cour a compris que l'insertion de la marque dans l'URL permet d'améliorer le SEO (ce dont on peut d'ailleurs douter, mais bon...).
Or, le problème principal n'est pas l'insertion de la marque dans l'URL, mais plutôt que cet acte d'optimisation SEO s'effectue sur un bien ou service qui non seulement en réalité n'est pas vendu par Rue du Commerce, mais en plus ne permettait pas à un internaute normalement informé et raisonnablement attentif de savoir si les produits ou services proviennent de chez Rue du Commerce ou de chez un tiers. En effet, la Cour reprochait à la méthodologie de l'insertion de la marque dans l'URL et le texte ajouté que « l'internaute normalement informé et raisonnablement attentif » ne pouvait pas « savoir si les produits ou les services visés par l'annonce proviennent du titulaire de la marque ou d'une entreprise économiquement liée à celui-ci (un revendeur) ou, au contraire, d'un tiers ». En faisant de la sorte, l'Internaute pouvait croire que Rue du Commerce vendait les produits « Carré Blanc ».
La décision finale aurait été toute autre si Rue du Commerce vendait légalement les produits « Carré Blanc », bien sûr.
Les enseignements à tirer de cette affaire
Dans le cas présent, la contrefaçon de la marque a été reprochée à Rue du Commerce.
Quelques principes doivent en effet être respectés :
- Avant de se lancer dans le référencement de produits ou services, bien vérifier en interne si oui ou non le produit ou service concerné est vendu. Si cela n'est pas le cas, il faut éviter toute communication autour de la marque concernée.
- Dès lors qu'un travail important est effectué sur un mot-clé, il est indispensable de le vérifier au moins sur les bases de l'INPI (https://bases-marques.inpi.fr/Typo3_INPI_Marques/marques_recherche_avancee.html) et de l'OHMI (https://oami.europa.eu/eSearch/) s'il s'agit d'une marque protégée.
- Si un concurrent ou un tiers prévient, par recommandé ou email, que les mots-clés travaillés sont des marques réservés ou enregistrées, il convient d'abord de bien vérifier la validité de ces marques. Si ces marques sont effectivement enregistrées, il est généralement plus prudent de cesser l'exploitation. En cas de souhait de poursuivre, il faut alors consulter un spécialiste juridique pour limiter les risques de poursuites.
De manière plus générale, il est très important de ne pas être naïf ou angélique en termes de discussions de précontentieux. Aucun cadeau n'est fait, aucune morale spécifique n'est respectée. Seuls les intérêts prédominent et le droit est alors le seul fondement des discussions. C'est pour cela qu'il est important de solidifier juridiquement un dossier en cas de « dérapage » dans les discussions avec un tiers propriétaire d'une marque utilisée en tant que mot clé.
Webographie :
(1) : CJUE 23 mars 2010, Google France et Inc. c/ Louis Vuitton Malletier SA, Viaticum SA, Luteciel SARL, CNRRH - http://www.juriscom.net/documents/cjue20100323.pdf
(2) : Cour de cassation, Chambre commerciale – 4 arrêts – voir le communiqué de la Cour de cassation http://www.courdecassation.fr/IMG/File/Communique_adwords_google_2010_07_13%283%29.pdf
Alexandre Diehl
Avocat à la cour, cabinet Lawint (http://www.lawint.com/)