La nouvelle loi sur la directive « Copyright » entrera en vigueur à la fin de ce mois d'octobre. Google a fait connaître dernièrement son interprétation de cette directive et sa façon de se mettre en conformité selon sa propre vision. Une vision qui semble dictée par son travail de lobbying auprès des instances européennes et qui pourrait bien lui être totalement favorable à terme. Les sites de presse français ne doivent pas s'attendre à recevoir un seul centime avant longtemps...
Le 24 octobre prochain entre en vigueur la loi transposant la directive « copyright » et créant un droit voisin au profit des agences et éditeurs de presse. La France est dans les premiers pays de l’Union à transposer cette directive. À compter du 24 octobre donc, les agrégateurs d’actualité (dont principalement Google Actualités) devront s’acquitter de redevances pour reprendre les contenus de ces agences et éditeurs de presse. Mais, Google, forte de plusieurs centaines de lobbyistes à Bruxelles et en tant qu'entreprise qui détient le record du nombre de réunions avec les responsables de la Commission européenne ces dernières années (alors que certains hauts fonctionnaires français n’ont pas le « droit » de voir ces mêmes personnes, de peur de « conflits d’intérêts »…), a réussi à adoucir le dispositif final et à mettre en place ses propres règles.
Comment la France a-t-elle transposé la directive copyright ?
Dans la Lettre Réacteur de Décembre 2018, nous vous présentions « l'article 11 du projet de directive sur les droits d'auteur ». Cette directive, issue d’un lobbying des agences et éditeurs de presse (principalement repris par la classe politique ouest-européenne), a pour objectif de faire participer les agrégateurs d’actualité au financement de ces acteurs qui vivent aujourd’hui principalement de subventions publiques. Il est donc logique que le législatif (contrôlé par cette même classe politique) ait fait passer devant tous les autres dossiers cette directive, puis cette loi.
La France, principalement porteuse du projet de directive, l'a transposé très simplement sur ce point. Les articles L.218-1-I et suivants du Code de la Propriété Intellectuelle ont ainsi été créés et reprennent très fortement le texte de l’article 11.
Les principes directeurs sont les suivants :
- La définition de « publication de presse » qui est désormais une « collection composée principalement d'œuvres littéraires de nature journalistique, qui peut également comprendre d'autres œuvres ou objets protégés, notamment des photographies ou des vidéogrammes, et qui constitue une unité au sein d'une publication périodique ou régulièrement actualisée portant un titre unique, dans le but de fournir au public des informations sur l'actualité ou d'autres sujets publiées, sur tout support, à l'initiative, sous la responsabilité éditoriale et sous le contrôle des éditeurs de presse ou d'une agence de presse ».
- « L'autorisation de l'éditeur de presse ou de l'agence de presse est requise avant toute reproduction ou communication au public totale ou partielle de ses publications de presse sous une forme numérique par un service de communication au public en ligne » (article. L. 218-2). En d’autres termes, il faut l’autorisation du Figaro pour que Google Actualités reprenne les articles du Figaro.
- Cette autorisation est payante. Le montant est fixé en fonction des « investissements humains, matériels et financiers réalisés par les éditeurs et les agences de presse, la contribution des publications de presse à l'information politique et générale et l'importance de l'utilisation des publications de presse par les services de communication au public en ligne ». En d’autres termes, le prix sera négocié au gré à gré, ce qui donne une puissance de négociation bien plus forte pour Google en réalité. Toutefois, il est prévu que les agences et éditeurs peuvent se mettre ensemble (dans le cadre d’un organisme de gestion collective), mais à ce jour, les « discussions » entre agences et éditeurs n’avancent pas beaucoup…au grand bénéfice de Google.
- « Les services de communication au public en ligne (NDLR : Google par exemple) sont tenus de fournir aux éditeurs de presse et aux agences de presse tous les éléments d'information relatifs aux utilisations des publications de presse par leurs usagers ainsi que tous les autres éléments d'information nécessaires à une évaluation transparente de la rémunération mentionnée au premier alinéa du présent article et de sa répartition ».
En conclusion, le dispositif français respecte parfaitement la directive et créée un droit spécifique aux agences et éditeurs de presse leur permettant de négocier « quelque chose » avec Google. Le point central est que ce « quelque chose » n’est pas défini et surtout, renvoyé à une négociation (nécessairement déséquilibrée) avec Google.
Comment Google s’adapte-t-il à cette nouvelle loi ?
Le 25 septembre, Google a précisé sur son blog comment cette société comptait respecter la loi.
Google a décidé que c’est à chaque site de presse de se déclarer comme tel à son égard. Ainsi, il est précisé : « Lorsque la loi française entrera en vigueur, nous n’afficherons plus d’aperçu du contenu en France pour les éditeurs de presse européens, sauf si l’éditeur a fait les démarches pour nous indiquer que c’est son souhait. Ce sera le cas pour les résultats des recherches effectuées à partir de tous les services de Google. »
Cette phrase nous semble susceptible d’interprétation :
- Soit, comme cela semble être écrit, plus aucun contenu d’agence et éditeur de presse ne sera repris, sauf si ceux-ci ont indiqué clairement le contraire (par exemple, dans la Search Console) et donc qu’ils doivent faire une démarche volontaire et unilatérale pour chaque site. Ce processus nous semblerait conforme à la loi et honnête ;
- Soit, Google présume que nous sommes tous (ou presque) des sites de presse et rendra moins visible (pas de résumé textuel de l'article proposé) comme tel ceux qui se manifestent. Cette probabilité semble peu conforme à la loi.
Or, lorsqu’on commence à chercher un peu dans les milliers de pages destinés aux webmasters, on trouve une page intitulée « Paramètre de publication de presse européenne ». Or, au travers des lignes de cette page, on découvre que le statut est prédéfini puisqu’il est proposé de le « modifier ». Comment est-il prédéfini et par qui ?
C’est le site Abondance qui répond à cette question. Dans son billet du 27 septembre, Olivier Andrieu nous raconte comment il a reçu un email de Google lui indiquant qu’Abondance a été identifié (par Google) comme un site de presse et sera donc considéré (par Google) ainsi. C’est donc à Olivier de bien s’assurer qu’il a reçu l’email, de l’avoir compris et de faire une démarche volontaire s’il ne veut plus être référencé comme tel.
Fig. 1. Message reçu dans la Search Console pour les sites analysés comme sites de presse par Google.
Cette procédure nous semble assez peu conforme à l’esprit de la loi.
Ensuite, l’éditeur du site pourra déterminer le texte, les extraits et miniatures qui pourront être affichés ou qui seront interdits d’affichage, ce qui pourrait permettre à Google d’insister plus tard sur la collaboration dans l’affichage des textes (et donc la difficulté pour lesdits éditeurs de venir râler auprès de Google plus tard).
Reste la question de la rémunération. Et là, étrangement, rien n’est précisé. Si un site accepte que son contenu soit repris, personne ne sait combien il gagnera. Ou pire, on commence à soupçonner que ce sera zéro. Donc :
- Soit Google part clairement en guerre et décide de ne pas rémunérer les sites de presse en violation directe avec la loi, auquel cas on assistera à un énième bras de fer avec les politiques. Sur chaque sujet, les politiques s’en sont toujours sortis, mais étrangement, quand on creuse les décisions finales, c’est bien Google qui s’en sort en réalité (rappelez-vous les différentes condamnations de Google pour abus de position dominante…qui n’ont jamais été payées au final). Les politiques font de la communication, Google du business…
Cette option est une réelle possibilité.
- Soit Google est plus subtile et accepte de jouer le jeu. Mais souvenons-nous de l’article L.218-4, alinéa 3 du Code de la Propriété Intellectuelle qui précise que c’est à Google de fournir les chiffres pour calculer la rémunération. Imaginez un monde où c’est à vous de dire aux impôts combien vous allez payer… C’est sur ce genre de détail qu’on voit le travail concret des lobbyistes à Bruxelles…. Dans cette hypothèse, si Google décide facialement de respecter la loi, les chiffres communiqués seront, à notre avis, étonnants, discutables. Mais, la loi ne permet pas à un tiers (par exemple, l’Etat, un juge, etc…) de vérifier ces chiffres. Décidemment, ces lobbyistes sont très forts…
Le 24 octobre verra donc l’ouverture un beau bras de fer entre Google et certains acteurs publics… et il est fort probable que les sites de presse ne voient pas l’argent de Google avant bien longtemps...
Alexandre Diehl
Avocat à la cour, cabinet Lawint (http://www.lawint.com/)