Un récent jugement a tranché en faveur d'une personne s'estimant diffamée par un commentaire rédigé sur sa page Google my Business. En effet, de nombreuses personnes publient parfois des commentaires négatifs au sujet de certains commerçants, arguant de la liberté d'expression. C'est oublier un peu vite que les commentaires sur Internet sont encadrés par plusieurs textes juridiques et que la situation n'est pas toujours aussi simple que l'on pourrait imaginer...
« Le monde accuse, soupçonne et calomnie avec une déplorable facilité ». Si cette citation de Guy de Maupassant date de 1889, elle n’en reste pas moins pertinente, voire d’une étonnante modernité compte tenu de la facilité actuelle avec laquelle il est aujourd’hui possible de tenir des propos diffamatoires sur Internet. Le jugement du Tribunal judiciaire de Marseille du 23 septembre 2020 condamnant l’auteur d’un commentaire jugé diffamatoire contre une dentiste, diffusé sur Google My Business, en est une parfaite illustration.
Les principes directeurs de la diffamation
Si la liberté d’expression est en principe absolu en France et en Europe, consacré par plusieurs textes fondamentaux, ce principe n’en reste pas moins encadré et connait certaines limites, notamment le délit de diffamation.
La diffamation est un délit de presse. En d’autres termes, elle n’existe que sur un support, par exemple, un journal, un site ou à la télévision, mais également dans le cadre de réunions publiques ou dans la rue.
C’est la fameuse loi du 29 juillet 1881 qui régit les délits de presse. Aux termes de l’article 29 de cette loi, est une diffamation « toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé ».
La peine est une amende de 12 000€, mais, si la diffamation est faite « envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée » ou « à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou identité de genre ou de leur handicap », alors le délit est puni d’un an de prison et de 45 000€ d’amende.
En d’autres termes, dans le cadre de la diffamation, l'intention coupable est présumée, c'est-à-dire que l'auteur des propos aura à charge de prouver sa bonne foi. Pour cela il devra réunir quatre conditions :
- la sincérité (le diffamateur croyait vrai le fait diffamatoire) ;
- la poursuite d'un but légitime (le souci d'informer et non de nuire) ;
- la proportionnalité du but poursuivi ;
- la proportionnalité du dommage causé et le souci d'une certaine prudence.
Ainsi, contrairement à ce que la très grande majorité croit, il ne suffit pas de prouver que le fait allégué était vrai pour être disculpé, mais bien de réunir ces quatre conditions.
L’action en diffamation ou en injure se prescrit par 3 mois à compter de la première diffusion. Ce délai court à nouveau à chaque fois que le site / blog est réactivé. En d’autres termes, pour un commentaire, le délai de 3 mois court à compter de son dépôt sur le site (par ex, Google My Business) et recourt à nouveau si le même commentaire est déposé ailleurs également.
L’ordonnance du Tribunal judiciaire de Marseille
Le jugement rendu par ordonnance par le Tribunal judiciaire de Marseille est une parfaite illustration d’un cas de diffamation sur Internet. Les faits, très simples, sont les suivants : une chirurgienne-dentiste ayant créé un compte Google My Business permettant aux internautes de déposer des avis et des commentaires par rapport à son activité a fait l’objet de commentaires diffamatoires rédigés par la sœur d’une patiente avec laquelle elle était en conflit. L’avis en question faisait mention des termes peu élogieux suivants : « Zéro professionnalisme », « arnaqueuse », « voleuse », « manipulation » etc.
Afin de faire supprimer l’avis publié, et compte tenu de l’urgence de la situation, le docteur a saisi le juge des référés. Par un jugement par ordonnance en date du 23 septembre 2020, le Tribunal judiciaire de Marseille a reconnu que « la teneur de l’avis précité comporte des allégations et des imputations de faits portant atteinte à son honneur et à sa considération (probité et compétence professionnelle) spécialement formulées à cet effet dans le cadre d’un conflit en cours avec le praticien ; que l’avis diffamatoire a manifestement été émis par Mme Y. sur instruction et incitation de Mme Z. qui est en conflit avec le Dr X ». Le Tribunal a de ce fait condamné solidairement l’auteur de l’avis et sa sœur sous astreinte de 300 € par jour de retard passé le délai de 10 jours à compter de la signification de la décision à supprimer l’avis publié, ainsi qu’au paiement de 300 € sur le préjudice subi et 1 500 € en application de l’article 700 du CPC.
La rédaction d’un avis sur internet n’est donc pas à prendre à la légère et peut faire l’objet d’une condamnation.
Les exemples de termes à éviter
Hors les cas « politiques » ou « médiatiques », les juges sont généralement souples dans le cadre de l’appréciation du délit. En effet, le principe fondateur de la démocratie reposant notamment sur la liberté d’expression induit que tout à chacun peut, dans les limites définies par la loi, s’exprimer sur tout sujet. Le fait diffamatoire doit se présenter sous la forme d'une « articulation précise de faits de nature à être sans difficulté, l'objet d'une preuve et d'un débat contradictoire » (Cass. crim., 3 déc. 1963). A ce titre, la Cour de cassation demande que l’interprétation soit restrictive (et donc, en faveur de la personne « poursuivie » pour diffamation) et que la détermination d’un fait précis soit rigoureuse. Ainsi, l'exigence d'un fait pouvant faire l'objet d'un débat sur la preuve du fait précis exclut les opinions, les jugements de valeur.
Ainsi, de nombreuses jurisprudences ont estimé qu’un fait trop général ou relevant du jugement de valeur ne saurait être qualifié comme constitutif de la diffamation :
- Des dessins et légendes relatifs à un pèlerinage intégriste, qualifiant les pèlerins de « nazis en culottes courtes », de « nazillons polonais » et comparant leur procession à un défilé militaire nazi, n'imputent pas aux personnes visées des faits ou des agissements précis, notamment l'appartenance sous l'occupation à des organisations nazis, les termes de « nazis » ou de « nazillons » utilisés par l'auteur de l'article, ne constituent pas une diffamation (Cass. crim., 29 janv. 1998, no 95-83.763) ;
- Les commentaires d'un journaliste sur la politique sociale de son ancien employeur et sur la qualité professionnelle de son successeur expriment son opinion personnelle exclusive de tout fait précis de même que l'emploi des expressions « grand manitou » et « caniche aux ordres du maître des lieux » qui n'excèdent pas les limites en matière de liberté d'expression, à l'occasion d'une polémique à laquelle le demandeur ne serait pas demeuré étranger (TGI Paris, 17e ch. civ., 30 janv. 2002) ;
- Les propos diffusés au cours d'une assemblée générale de société selon lesquels « les anomalies de gestion ont une odeur de collusion suffisamment répulsive » n'excèdent pas le libre droit de critique d'un actionnaire minoritaire sur un acte de gestion effectué par les actionnaires majoritaires de la société (Cass. 2e civ., 13 mai 2004);
- Les termes « bidon » et « intox » utilisés par un magazine pour qualifier une émission de télévision expriment en langage courant, l'opinion qui s'en dégage et signifient simplement que l'émission télévisée critiquée présente des informations erronées non vérifiées et trompeuses ; ils ne dépassent pas la libre critique admissible, contrairement à l'analyse de la Cour d'appel, qui avait estimé que de telles allégations étaient synonymes de bluff, mensonge ou simulation, et donc de malhonnêteté intellectuelle (Cass. crim., 28 janv. 2010).
Les exemples de commentaires ou posts particulièrement acides sur les forums, surtout pour qualifier les banques ou assurances, pullulent également en jurisprudence :
- des posts sur un forum comme :« [...] est un partenaire médiocre et malhonnête à fuir comme la peste. Je me suis fait arnaquer et escroquer » ou encore « Je me suis fait arnaquer en beauté, pour un problème, trivial, de réparation de chauffage où je demandais à [...] de lancer une procédure en référé (...). J’ai attendu 1 MOIS 1/2 pour avoir une réponse, un refus, qui n’était pas ce que je demandais », « En conclusion, si vous ne voulez pas vous faire arnaquer et les financer pour faire un travail qu’ils ne feront jamais, n‘allez jamais chez [...]» « C’est une bande d’arnaqueurs et d’escrocs, très peu enclins à faire leur travail comme défini dans le contrat qui vous liera à eux », « Je dois encore me servir des arnaqueurs pendant un moment vu que j’ai des affaires en cours » ont été validés par le Tribunal de Grande Instance de Paris qui a refusé la qualification de diffamation aux motifs que : « Quand il estime qu’il s’est fait « arnaquer et escroquer », le prévenu fait référence de manière subjective au manque de diligence et d’efficacité de celui-ci et non à de quelconques infractions pénales qui auraient pu être commises par la personne morale. Ces propos ne contiennent donc que la critique, particulièrement vive, des prestations fournies par [...] ». « Lorsque Julien A. emploie les termes « partenaire médiocre et malhonnête », médiocre prestataire », « arnaqueurs » et « lamentable », il n’impute à la société aucun fait précis ; si ces expressions sont susceptibles de caractériser des injures, celles-ci ne peuvent être absorbées par une diffamation qui n’existe pas dans le reste des messages. » (Tribunal de grande instance de Paris, 13 février 2014, http://www.legalis.net/spip.php?page=jurisprudence-decision&id_article=4170);
- Un blog sur Tumblr « Comment [...] m’a entubé » où un actionnaire explique son désaccord avec un autre actionnaire. Le terme « entubé » n’a pas été qualifié de « diffamation » par le Président du Tribunal de Grande Instance de Paris qui a estimé qu’il ne renvoyait pas nécessairement à un concept d’escroquerie ou associé (Ord. TGI Paris, 8 octobre 2014) ;
- Un post sur Facebook « le genre de site www.[...].com est une pure tromperie et vous perdrez votre argent et votre temps ; aucun avocat n’a le droit d’apporter son concours à ce type de commerce illicite et surtout, ce type de société commerciale ne pourra jamais vous orienter vers un véritable spécialiste du droit routier… Fuyez l’arnaque » a été relaxé par le tribunal correction de Marseille car le post ne vise pas « un fait précis et déterminé susceptible de porter atteinte à l’honneur et à la considération de la partie civile mais portent sur l’appréciation générale des services et prestations fournis, via son site internet, par la partie civile ». (TGI Marseille, 29 novembre 2016 - https://www.legalis.net/jurisprudences/tgi-de-marseille-11a-ch-coll-jugement-correctionnel-du-29-novembre-2016) ;
- Un article sur un site people intitulé « Une candidate de téléréalité teint son chat en rose, il meurt d’une intoxication » et reprend, en détail, comment ce chat est mort, a été sanctionné par le Tribunal de Grande Instance de Paris car les faits sont précis (TGI Paris, 11 mai 2016 - https://www.legalis.net/jurisprudences/tribunal-de-grande-instance-de-paris-17eme-ch-civ-jugement-du-11-mai-2016);
- Un blogueur avait qualifié un site de voyage en ligne « d'escroquerie ». Le Tribunal de Grande Instance de Paris a jugé qu'il poursuivait un but légitime de contestation et a donc rejeté la qualification de diffamation. (Tribunal de Grande Instance Paris, 26 nov. 2007).
Ces quelques jurisprudences démontrent qu’en réalité, l’appréciation judiciaire repose avant tout sur :
- La précision de faits spécifiques ou non, et la qualification juridique de certains termes employés : utiliser le mot « escroquer » renvoie à une définition juridique précise qui peut entrainer la qualification de diffamation, alors qu’un terme similaire mais non juridique (« je me suis fait avoir » ou équivalent), non ;
- La subjectivité du juge, le contexte tel qu’apprécié. La justice reste humaine (pour l’instant) et une situation sera tranchée différemment entre deux magistrats.
À vous de voir, donc, ce qu'il en est et de réfléchir à deux fois, en toute connaissance de cause, lorsque vous posterez vos commentaires sur Google my Busoness ou tout autre site similaire.
Alexandre Diehl
Avocat à la cour, cabinet Lawint (https://www.lawint.com/)