Le netlinking est une technique de base du SEO consistant à augmenter le nombre de liens naturels vers un site de manière plus ou moins artificielle. En pratique, il peut prendre de nombreuses formes, y compris celles consistant à échanger ou même acheter des liens chez des tiers. La légalité de cette pratique a pu éventuellement paraitre douteuse dans le passé, notamment du fait que les principaux moteurs n’apprécient guère ces méthodes. Pourtant, le droit qui d’habitude encadre et réglemente fortement, n’impacte que très peu cette pratique. Pourtant, on va voir dans cet article qu'on ne peut pas faire n'importe quoi dans ce domaine et qu'une véritable évaluation doit être faite au cas par cas pour savoir ce qu'il est bon de signaler. Ou pas...
Note d'Olivier Andrieu : cet article fait suite à deux vidéos que j'ai proposées sur le site Abondance : suite à la publication de la première (Acheter des liens est-il illégal ?), plusieurs personnes m'ont écrit pour me signaler qu'elles avaient dû, dans le passé, payer des amendes car certains de leurs concurrents avaient déposé plainte auprès de la DGCCRF pour achat de liens. J'ai donc publié une seconde vidéo sur ce sujet. Mais je me disais que l'œil d'un juriste professionnel, au fait des nouvelles technologies et comprenant ce qu'est le SEO, serait certainement indispensable pour approfondir le propos. Et vous allez voir ci-dessous, sous la plume d'Alexandre Diehl, qu'effectivement la question de l'achat de lien est intéressante à traiter avec un peu de recul et une vision plus juridique...
Pratique du netlinking
Le site Réacteur a la particularité d’expliquer les méthodes et les meilleurs moyens de faire du netlinking proprement et efficacement. Le propos n’est donc pas de répéter ici ce qu’Olivier nous explique depuis tant d’années, mais plutôt de cadrer le débat au travers d'une appréciation juridique.
Pour ce qui concerne l’échange ou la vente de liens, la pratique repose avant tout sur un accord à deux ou plus (voire par le biais d’une plateforme qui officie comme une chambre de compensation), ce qui implique donc un aspect contractuel. En d’autres termes, que ce soit de manière automatisée ou non, les acteurs doivent se parler pour échanger. Les discussions peuvent s’articuler autour de la qualité des liens (et surtout des contenus), leur positionnement, leur « propreté » SEO et leur quantité. Il est donc difficile d’automatiser intégralement ces échanges, même si certaines plateformes s’évertuent à le faire.
La position de Google
Les recommandations (guidelines) de Google expliquent la réticence du moteur à cette pratique (https://developers.google.com/search/docs/advanced/guidelines/link-schemes?hl=fr ) :
« Tout lien destiné à manipuler le classement PageRank ou le classement d'un site dans les résultats de recherche Google peut être considéré comme faisant partie d'un système de liens et comme enfreignant les Consignes Google aux webmasters. Cela inclut toutes les opérations qui manipulent les liens dirigeant vers votre site ou les liens redirigeant vers d'autres pages depuis votre site.
Veuillez trouver ci-dessous des exemples de systèmes de liens pouvant avoir un effet négatif sur le classement d'un site dans les résultats de recherche :
- Achat ou vente de liens qui transfèrent le PageRank Par exemple :
- Achat de liens ou de messages contenant des liens
- Échange de biens ou de services en échange de liens
- Envoi d'un produit "gratuit" en échange d'un commentaire incluant un lien
- Échanges de liens excessifs ("Ajoutez un lien vers mon site et j'ajouterai un lien vers le vôtre") ou pages partenaires utilisées exclusivement à des fins de liaison transverse »
Le fait que Google précise clairement que de tels liens peuvent être considérés comme enfreignant ses recommandations prouve que la décision n’est pas systématique, voire même finalement assez marginale. Au demeurant, Google n’a jamais dit qu’il interdisait tout netlinking, mais que certains excès sont prohibés.
Est-ce que le netlinking constitue une publicité ?
La définition de la publicité est large et a toujours été appréciée comme telle par le législateur, le juge et les organismes professionnels. Ainsi, la Cour de cassation a proposé une définition : « tout moyen d'information destiné à permettre à un client potentiel de se faire une opinion sur les résultats qui peuvent être attendus du bien ou du service qui lui est proposé ».
La directive européenne 84/450/CE du 10 septembre 1984 sur la publicité trompeuse (qui donnera lieu à transposition dans le code de la consommation d’ailleurs) dispose qu’une publicité est « toute forme de communication faite dans le cadre d’une activité commerciale industrielle, artisanale ou libérale dans le but de promouvoir la fourniture de biens ou services, y compris les biens immeubles, les droits et les obligations ».
Le décret n° 92-280 du 27 mars 1992 relatif à la publicité et au parrainage audiovisuels précise-t-il que constitue une publicité « toute forme de message télévisé diffusé contre rémunération ou autre contrepartie en vue soit de promouvoir la fourniture de biens ou services, y compris ceux qui sont présentés sous leur appellation générique, dans le cadre d'une activité commerciale, industrielle, artisanale ou de profession libérale, soit d'assurer la promotion commerciale d'une entreprise publique ou privée ».
Pourquoi se poser de telles questions ? Est-ce qu’une telle pratique implique toujours le régime de la publicité ?
La réponse est non. La définition de la publicité repose sur le contenu du message et non sur la forme ou le caractère payant ou non du contenu. Ainsi, un article, s’il ne promeut pas intrinsèquement un produit ou un service ne sera pas considéré comme une publicité. En revanche, si un article fait la promotion d’un produit ou service, même de manière discrète, même de manière détournée, la réponse sera oui. La question de la rémunération n’intervient pas dans l’application ou non du régime de la publicité.
C’est donc plus le contenu de l’article cible que le lien ne lui-même qui va déterminer l’application ou non du régime juridique de la publicité.
En d’autres termes, si le lien renvoie vers un contenu qui peut être interprété comme une publicité, le régime de la publicité s’appliquera au lien et, si le lien renvoie vers un contenu qui n’est pas une publicité, le régime de la publicité ne s’appliquera pas au lien.
Le caractère trompeur d’une publicité
L’article L.121-1-11° du code de la consommation interdit « d'utiliser un contenu rédactionnel dans les médias pour faire la promotion d'un produit ou d'un service alors que le professionnel a financé celle-ci lui-même, sans l'indiquer clairement dans le contenu ou à l'aide d'images ou de sons clairement identifiables par le consommateur ».
C’est sur ce fondement juridique que l’autorité en charge du contrôle du droit de la consommation, la DGCCRF, intervient sur les liens. Ainsi, il est arrivé que la DGCCRF dresse des amendes parce que des liens renvoyaient vers des contenus publi-rédactionnels ou de publicité sans que le lien ne précise qu’il s’agit d’une publicité.
Mais, c’est bien l’analyse du contenu cible qui a permis à la DGCCRF de qualifier le contenu et donc, le lien concerné.
Les mentions obligatoires d’une publicité
Si le régime de la publicité s’applique, les aspects « informationnels » deviennent importants.
L’article 20 de la loi du 21 juin 2004 « loi en la confiance en l’économie numérique » précise clairement que « toute publicité, sous quelque forme que ce soit, accessible par un service de communication au public en ligne, doit pouvoir être clairement identifiée comme telle. Elle doit rendre clairement identifiable la personne physique ou morale pour le compte de laquelle elle est réalisée ».
En d’autres termes, il est obligatoire qu’une publicité, fut-elle un lien acheté ou échangé, précise clairement :
- qu’il s’agit d’une publicité;
- que la publicité, que ce soit le lien en lui-même ou l’URL vers qui pointe le lien, précise l’annonceur.
D’un point de vue strictement juridique, il n’existe aucune contrainte ou règle relative à la charte graphique, sous réserve que la publicité respecte les principes ci-avant visés. Par exemple, la taille de la police de caractères n’a jamais été réglementée par une loi, mais par des pratiques ou normes.
De plus, le code de la consommation (qui a vocation à protéger un consommateur moyennement attentionné) impose des principes de base. Par exemple, ce code interdit formellement :
- toute mention susceptible de créer dans l'esprit du public une qualité fausse ;
- toute publicité mensongère ou trompeuse ;
- toute mention comparative ou dénigrante.
Il peut être utile de consulter également le site de l’ARPP (https://www.arpp.org/nous-consulter/regles/regles-de-deontologie ) qui comprend de nombreuses pratiques que les métiers (et finalement les juges de première instance) proposent de suivre afin de proposer une publicité réellement conforme à l’état de l’art.
Champ d’application de ces règles
Ces règles s’appliquent quelle que soit la nature de la transaction :
- que ce soit par échange de liens ;
- que ce soit par simple achat ;
- voire que ce soit par l’achat d’un contenu éditorial et des liens qui vont avec.
Dans tous les cas, c’est plus la nature de l’article, du contenu final qui va déterminer si oui ou non on signale qu’il s’agit d’un lien à connotation commerciale.
Dans la pratique, il n’est pas fréquent que cette pratique s’accompagne de signalisations ou d’avertissement aux consommateurs d’aspect publicitaire ou commercial. Mais, compte tenu des limitations imposées par Google et l’importance grandissante de respecter la loi, il sera important de procéder à de telles vérifications pour proposer des méthodes de netlinking de qualité.
Alexandre Diehl
Avocat à la cour, cabinet Lawint (https://www.lawint.com/)