Simple objet technique au début des années 1980, les noms de domaine sont devenus des actifs convoités et de valeur. L’objet de cet article est de présenter les déterminants de la valeur des noms de domaine, afin d’informer les lecteurs qui souhaiteraient en acheter ou en vendre.
La règle normale d’obtention d’un nom de domaine est son enregistrement auprès d’un bureau d’enregistrement, moyennant un coût s’élevant généralement à une dizaine d’euros [1]. Si le nom de domaine souhaité n’est pas disponible, il est envisageable de le racheter à son titulaire, ces transactions formant ce qu’on appelle le second marché.
Objets de multiples fantasmes, ce second marché est en réalité modeste et marqué par une faible liquidité. Sur les 350 millions de noms de domaine enregistrés [2], probablement moins d’1 % d’entre eux possèdent une valeur de revente. De manière étonnante, la proportion n’est pas significativement supérieure dans les places de marché spécialisées, où la grande majorité des noms de domaine en vente ne trouvent jamais preneur et finissent par expirer.
Nombre de noms de domaine en vente sur les plateformes sont proposés par des débutants
à des prix fantaisistes et ne se vendent donc jamais.
Les personnes vivant de l’achat-vente de noms de domaine sont en pratique rares, tout au plus quelques dizaines en France, dont seulement une poignée pour qui il s’agit de l’activité principale. Cet état de fait est en contradiction avec l’image d’Epinal du secteur, qui dépeint un jeune homme au volant d’une voiture de luxe ou profitant de sa richesse au bord de sa piscine. De telles personnes n’existent que dans les couvertures des ebooks vendeurs de rêve, lesquels participent à la surestimation généralisée de la valeur des noms de domaine.
Surestimation généralisée de la valeur des noms de domaine
Le marché des noms de domaine a pour particularité d’être méconnu et surestimé, y compris par les professionnels du Web. Avant d’en expliquer les raisons, le simple bon sens rappelle que s’il était facile de s’enrichir en achetant et vendant des noms de domaine, un grand nombre de personnes le ferait, et les bénéfices disparaitraient [3].
Les médias, friands de sensationnalisme, et le grand public relaient abondamment les ventes record. Or, celles-ci sont par nature des cas exceptionnels qui ne disent rien de la valeur « normale » des noms de domaine. De même, la communauté des domainers déborde d’inventivité pour donner l’image de désirabilité et de grande valeur à leurs actifs, souvent au moyen de ventes fictives ou de storytelling mensonger. Par exemple, la citation de Bill Gates selon laquelle « Les noms de domaine gagnent et gagneront en valeur plus que tout autre bien dans l'histoire de l'Humanité » renvoie 280 millions de résultats dans Google, avec une position zéro de Pinterest et des centaines de mentions dans des sites d’autorité comme Amazon, Facebook, etc. Or, le célèbre domainer américain Rick Schwartz explique dans son blog qu'il en est l’inventeur, mais qu'il avait pensé que l’impact serait supérieur en attribuant sa paternité à l'homme le plus riche du monde.
Face à cette propagande d’acteurs surévaluant la valeur des noms de domaine, aucune contrepartie informationnelle n’existe. Les acteurs du marché sont tous structurellement vendeurs et ont naturellement intérêt à ce que les prix soient surestimés.
Les achats de nom de domaine sont toujours des actes ponctuels, le plus souvent pour servir d’adresse à un nouveau projet ou dans le cadre du lancement ou d’une protection de marque. Compte tenu du caractère asymétrique de l’information disponible, les acheteurs éprouvent toutes les difficultés à racheter des noms de domaine dans des conditions satisfaisantes, puisqu’il est courant de devoir débourser des centaines ou milliers d’euros pour un nom de domaine anodin.
L’exposé qui suit explique les raisons de la faible liquidité du marché et propose une approche non partisane de l’estimation de la valeur des noms de domaine.
Déterminants de la valeur d’un nom de domaine
Contrairement aux marchés de produits homogènes comme les matières premières, les automobiles ou les montres, il n’existe pas de cote des noms de domaine. Face à ce manque, des outils automatiques d’estimation de la valeur des noms de domaine ont été créés, à l’image du tout aussi célèbre qu’inutile Estibot. Tous se basent sur les montants des ventes publiées par les grandes plateformes telles qu’Afternic et Sedo, mais celles-ci ne sont pas représentatives [4]. De plus, le mode de calcul de ces outils repose sur une erreur méthodologique car la valeur des noms de domaine est estimée à partir des ventes réalisées. Or, cette issue n’est pas la situation « normale », l’immense majorité des noms de domaine en vente finissant par expirer.
Clément Genty explique dans sa thèse de doctorat [5] pourquoi ni les mathématiques ni les algorithmes ne peuvent produire d’évaluation fiable de la valeur des noms de domaine. Aucun modèle ne peut estimer la valeur objective d’un nom de domaine, car celle-ci n’existe pas, tout au plus peut-on estimer des probabilités de vente associés à des niveaux de prix donnés.
Chaque nom de domaine est en effet unique et susceptible d’être vendu dans des circonstances aux variations infinies. Contrairement à la bourse ou à d'autres marchés structurés, les prix des mêmes noms de domaine seront significativement différents selon le type d'acheteurs et de vendeurs, leur situation géographique, leurs objectifs, leurs moyens financiers, leur motivation ainsi que les modalités et le lieu des transactions.
En définitive, la valorisation d'un nom de domaine est comparable à celle d'une entreprise ou d'un bien immobilier. Bien qu’il existe des critères objectifs permettant de déterminer la valeur, le prix final sera celui sur lequel s’accorderont le vendeur et l’acheteur. Une typologie sommaire des vendeurs et des acheteurs permet de dresser un aperçu des situations pouvant aboutir à des ventes, ainsi que les conditions dans lesquelles celles-ci sont susceptibles de s’effectuer.
Sur le second marché des noms de domaine, l'essentiel des transactions est réalisé entre domainers, à des montants de l’ordre de quelques dizaines d’euros, variables selon les pays et le pouvoir d’achat de leurs ressortissants.
La seconde catégorie d’acheteurs la plus active sur le marché concerne les éditeurs de sites internet, qui achètent des noms de domaine en vue de créer des sites web et de les monétiser, et acceptent généralement de les payer à des montants supérieurs à ceux des revendeurs.
La dernière catégorie d’acheteurs est celle des utilisateurs finaux. Ceux-ci déboursent des sommes généralement élevées pour acheter des noms de domaine lorsqu’ils sont contraints ou ont besoin de le faire, par exemple en cas de lancement d’un nouveau projet.
Chacun des types d'acheteurs potentiels possède une approche différente de la valorisation des noms de domaine et ne s’intéresse pas aux mêmes caractéristiques, qu’il est toutefois possible de recenser (cf tableau 1 ci-dessous) :
Tableau 1 : Facteurs influençant la valeur sur le second marché des noms de domaine
Critères | Importance pour domainers | Importance pour éditeurs de sites | Importance pour utilisateurs finaux |
Extension | Majeure | Moyenne | Forte |
Secteur d'activité | Moyenne | Forte | Majeure |
Volume de recherche sur le nom et Coût par Clic du nom | Moyenne | Forte | Majeure |
Longueur du nom | Majeure | Faible | Moyenne |
Caractère accrocheur ou "brandable" du nom | Moyenne | Faible | Majeure |
Acceptation des tirets | Faible | Forte | Moyenne |
Métriques SEO | Faible | Majeure | Faible |
Ancienneté du domaine | Faible | Moyenne | Nulle |
Source : Stratégie web : le rôle central des noms de domaine, Edition Gecop, 2020, David Chelly
Le potentiel de marque d'un nom de domaine est généralement le principal déterminant de sa valeur. Pour les noms de domaine inventés, dits « brandable », ce critère se base sur un ressenti propre à chacun, variable selon les marchés et impossible à appréhender par un algorithme. Lorsqu’il s’agit de termes génériques, la popularité et le secteur du mot ou des mots composant les noms de domaine, appelés dans ce cas EMD [6], sont également des déterminants de la valeur.
La longueur du nom domaine est importante, les noms de domaine courts étant ceux ayant le plus de valeur, surtout s’ils sont faciles à mémoriser. Dans la plupart des cas, le pluriel réduit la valeur d’un nom de domaine en français, de même que le tiret. L'usage d'accents (domaines IDN) ôte presque toute valeur à un nom de domaine.
L'anglais est de loin la langue la plus prisée, la valeur des noms de domaine en français étant beaucoup plus faible. Selon les pays, le .COM ou l'extension nationale (.FR, .BE, .CH, etc.) constituent le meilleur choix. Les noms de domaine portant d'autres extensions ont peu ou n'ont pas de valeur de marché.
Les métriques SEO ont été des critères longtemps négligés, mais ils sont devenus essentiels sur certains marchés, en particulier en France où a émergé un nouvel écosystème avec des modes de valorisation originaux, lesquels étant si spécifiques et différents qu’ils donneront prochainement lieu à la publication d’un article dédié à ce thème.
Notes :
[1] On trouve des noms de domaine gratuits à l’enregistrement et d’autres coûtant des centaines ou milliers d’euros, car les politiques tarifaires des registres et des bureaux d’enregistrement sont libres.
[2] Le nombre de noms de domaine comptabilisés évolue chaque seconde, mais le total est relativement stable depuis quelques années. Il n’est pas tenu compte pour cet article des racines alternatives à l’ICANN, et notamment des noms de domaine dits « blockchain », dont l’intérêt, la valeur et l’importance sont, en dépit des efforts marketing de leurs promoteurs, pour l’instant anecdotiques.
[3] Les sciences économiques parviennent à la même conclusion : en l’absence de barrières à l’entrée, ce qui est le cas pour l’achat-vente de noms de domaine, les profits des acteurs tendent vers zéro.
[4] Les ventes publiées représentent une part infime des ventes de noms de domaine, en surreprésentant celles de montants élevés. La majorité des transactions sont réalisées entre revendeurs, à des niveaux plusieurs fois inférieurs à ceux des ventes publiées.
[5] Genty C., Gouvernance de l’Internet et Économie Mondiale : Proposition d’un Modèle d’Évaluation de la Valeur d’un Nom de Domaine en tant qu’Actif Immatériel, École des Arts et Métiers, Thèse de Doctorat, 2019.
[6] EMD est l’acronyme anglais d’Exact Match Domain, ou Nom de Domaine Exact, en français.
David Chelly,
cofondateur Domstocks et NddCamp (https://www.refdomaine.com)